Ce n'est pas une affaire de coeur

Dialogue imaginaire entre la journaliste et un membre des services de l'ordre. Face à l'indifférence de ce dernier, elle fait état des mauvais traitements subis par les membres de l'OAS en prison, s'en indique au nom de la dignité humaine.
Comment traite-t-on les O.A.S. et assimilés qui se trouvent en prison ?
— Mieux qu'ils ne vous traiteraient si vous y étiez, vous pouvez me croire !
— Mais encore ?
— Quelques coups par-ci par-là quand ils font les farauds. Rien de bien méchant.
— Cependant, le conseil de l'Ordre des Avocats à la cour de Paris vient d'évoquer, dans une protestation solennelle, des « sévices graves » exercés au cours d'un transfert.
— Qu'est-ce que des sévices graves ?
— Je vous le demande, précisément.
— Votre bon cœur saigne ?
— Ce n'est pas une affaire de cœur.
— Vous avez des amis à la Santé ?
— Pas que je sache.
— Vous prenez les prisons pour des maisons de repos ?
— Non, vraiment. Il se trouve que j'ai longuement fréquenté l'un de ces établissements — trois étoiles — du temps que les Allemands y faisaient le service. Je connais.
— Alors quoi ? Vous n'allez pas mouiller des mouchoirs parce que quelques messieurs de l'O.A.S. se sont fait peut-être un peu frotter les côtes ! Il faut savoir ce que l'on veut, que diable !
— Justement, je le sais.
— Voyons donc.
- Je veux que tout homme, aussi haut placé soit-il, qui protège l'O.A.S., qui participe à son action ou qui lui apporte son aide, fût-ce par lâcheté, soit impitoyablement traqué. Incarcéré. Et placé hors d'état de nuire. Je veux que ces hommes qui ne carburent qu'à la haine, à la peur, à la bêtise ou à l'argent soient paralysés car ils sont, comme Macbeth, entrés si avant dans le sang que s'ils n'avançaient plus, retourner serait aussi difficile que continuer.
Je veux qu'on les traite en ennemis, car ils sont nos ennemis. A vous, à moi, à tous ceux qui ont soit de la mémoire, soit de l'imagination, soit — tout simplement — les yeux ouverts et quelques notions d'histoire hitlérienne.
Mais que, une fois désarmés, neutralisés, on les moleste, on les rosse ou qu'on leur inflige de basses humiliations, non. Ni à eux, ni à personne. Est-ce clair ?
— Clair et léger. Vous dites : O.A.S., et vous pensez : beau capitaine au regard d'azur et à la poitrine constellée de médailles, noble âme égarée par trop de discours, belle conscience déchirée.
— Erreur. Je dis : O.A.S. et je
pense ministre brouillard, légionnaire déserteur, ancien nazi peut-être, qui moyennant cent mille francs assassinera et torturera n'importe qui pour le compte d'un général arriviste, vexé d'être en chômage. Ou encore, voyous tremblotants qui n'attaquent qu'à dix contre un, histoire de se prendre pour des hommes.
— Mettons qu'il y ait un peu de tout au milieu de beaucoup d'argent, comme ce fut le cas en Allemagne. Et ce sont ces gens-là, payeurs, conseilleurs et tueurs, dont il vous importe de respecter « la dignité » ? C'est bouffon.

Bouffon, peut-être. Mais la dignité humaine ne se distribue pas à la tête du client. Ou elle est respectée en tout homme et en toute femme. Ou elle ne l'est en personne. Quelqu'un l'a dit avant moi : « Je n'aime pas qu'on abîme les hommes ». Ne vous y trompez pas. Abîmés, nous le deviendrons tous si nous ne le sommes déjà.
— Le remède ?
— S'y refuser. Imperturbablement. Inlassablement. Impitoyablement.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express